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Graal... Es tu là ?

Combien il est édifiant de relire les divers textes où le Graal est mentionné, en Occident (la «matière de Bretagne») comme en Orient (leur origine). Edifiant en cette époque où la «spiritualité» entraîne, souvent, depuis des années, fort loin des «vérités traditionnelles» ou même du simple bon-sens; se fondant dans l’à peu-près, les modes  époustouflantes et délirantes, les pouvoirs au détriment de la «libération»…

Le thème  du Graal, lancé dans notre pays par Chrétien de Troyes en son (dit maintenant) «Perceval le Gallois», nous paraît avoir été la première manifestation littéraire de la décadence de la pensée, Don de Gracetant chrétienne que profane, depuis son époque jusqu’à (et surtout) aujourd’hui!

Notons tout de suite que ce n’est pas être systématiquement iconoclaste que de mentionner cela; d’autres que nous le firent, en tant que témoins de la religion chrétienne comme en tant que simples lecteurs un peu vigilants: «danger» «notion pseudo-mystique», «déraisonnables» ! (J. Vaquié, A.Beguin).

 DEUX DIRECTIONS DE CE MYTHE…

… nous semblent avoir été les annonciateurs des actuels new-age et «matérialisme spirituel»: le prosélytisme chrétien, les rêveries schizophréniques et le psychique pris, tous deux, pour voie «initiatique» vers le Principe («Dieu» chez les chrétiens).
Prosélytisme chrétien, disons-nous, par l’aide de ce tout premier «roman»; historiquement. Le voici fait pour transformer les imageries celtiques structurées et anagogiques (= permettant la transcendance) en des «distractions» pour chatouiller  la vanité ou endormir le mental discriminateur avec de «l’eau de rose» («féerie, romanesque, amusement des analogies» (M. Alexis, Monde du Graal 56). D’autres l’ont noté: alors que l’humanisme tente de supplanter la «foi» et la croyance du Christianisme, voici que Chrétien de Troyes, puis ses continuateurs, interviennent, dans  «une commune entreprise de christianisation» (idem)  contre la «morale» qui commençait à l’ «emporter sur la spiritualité»(Y. Bonnefoy).

Un texte de la Queste du Graal le clame explicitement aux oreilles du chevalier, par la voix  même de la Foi: «Je t ‘abandonne si tu abandonnes la croyance»! Oui! Il leur faut lutter contre «la race maudite des païens», contre «les Juifs perfides qu’on devrait tuer comme des chiens» (Perceval) ; cible explicite!
N’est-ce pas là parfaite illustration du but de cet et de ces ouvrages de propagande chrétienne qui valorisent ce «graal»?
Mais pauvre Christianisme!...
… car que d’incohérences dans l’exposition de son dogme!

Le Graal, pour commencer (puisque cet «objet» va devenir le Totem de ce courant): lors de sa première apparition (Perceval),  n’est-ce pas seulement l’hostie que ce plat contient qui est d’importance? Et son pouvoir sur l’existence du Roi à qui on la sert en grande pompe comme repas? Pourquoi les continuateurs en firent-ils un Vase, une Coupe? Le contenant pris pour le contenu «sacré»?

Pour quel autre but que de lier cette cérémonie quelque peu ostentatoire et surfaite au pouvoir d’un objet consacré de la religion chrétienne, que ce soit successivement pour évoquer la Cène ou le Golgotha, ou Joseph d’Arimathie; en ajoutant  la Lance qui perça, dans cette même mythologie, le flanc du Christ?

Sans se soucier de la moindre cohérence ou explication pour passer de l’une à l’autre référence: juste des images inventées par chaque auteur pour  faire rêver le lecteur; certes comme dans les récits celtiques édifiants (lire ceux transcrits par Guyonvarc’h), mais, ici, sans aboutissement autre que sentimental. Un seul but: accrocher l’imagination des «païens» à leur ancestral Chaudron d’acier magique (+ Faunus, Diane une fois, et Merlin!) et les entraîner par leurs affects vers les imageries chrétiennes; «croyances celtiques, recouvertes d'un vernis chrétien» (M. Bliade)…

N’en fut-il pas de même, par la suite, chez les peuples colonisés qui en vinrent à «affubler» leurs propres idoles des attributs et noms de la religion des envahisseurs?

Peu importe alors le bon sens et le message! Juste le conditionnement mental des peuples! Par exemple, noté par P. Zumthor: l’auteur du Merlin «n’entend pas contribuer à (une) épopée à connotations théologiques»; «une quête sinon spirituelle, du moins merveilleuse», ajoute (A.Beguin).

QUEL MESSAGE?

Lisons correctement: on maintient en vie, par cette hostie présentée sur un graal-plateau, un roi qui,  étant blessé, ne peut gouverner correctement son royaume; on le dit incapable de se déplacer. Mais ne l’a-t-on pas vu le matin même en train de pêcher? De pêcher… faute de pouvoir aller tuer les animaux de la forêt! Fallait–il vraiment lui redonner la santé, à ce Roi Pêcheur? Lorsque l’on voit ce que, guéri, il va faire pour son royaume (ne se retire-t-il pas simplement du monde?), on peut se demander comment le second auteur a pu en arriver à cette invention dénuée de tout bon sens, face à la thèse de Chrétien de Troyes.

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Alors? But du christianisme, cette ascèse totale, pour ne pas dire schizophrénie, où s’anéantiront Perceval et Galaad?… Et pour les hommes seulement, les femmes ne pouvant accompagner les «élus» dans la Queste! Queste d’un objet mystérieux que personne ne peut voir, s’il n’est «pur» et qui cependant est gardé par des Rois pécheurs et promené par… une «pucelle»!  Alors? Le but est-il la vision du Graal ou le dépouillement et l’épuisement progressifs des chercheurs? Une aide pour les conduire à  seulement se refermer sur des obsessions de «pureté», à quitter l’existence (Perceval); et totalement (mourir pour Galaad)? F. Baumgartner y voit l’exposé du «désir diabolique qui pousse l’homme à forcer les secrets de Dieu» (Merlin); mais pas les auteurs ni la plupart des universitaires!

L’inspiration «divine» du christianisme alors?  Ne sert-elle pas seulement à cela, en fin de… conte?  A voir le vrai «Ennemi»! Elle guide sans cesse le «sauvage» Perceval à qui elle fut octroyée dès le début de son existence; et plus encore grâce aux prières protectrices de sa pieuse mère ou des uns et des autres, identiquement confiants en elles; il le sait, lui,  Lancelot, et le constate sans cesse.

Mais alors? Pourquoi cette inspiration christique qui le téléguide en chaque instant (pour savoir où aller et qui combattre pour le tuer); pourquoi lui fait-elle défaut soudainement, lui interdisant de parler et de poser la fameuse question, au demeurant fort indiscrète, de savoir ce qui est sur ce plateau, dit Graal, et qui reçoit une telle nourriture? Son «dieu» ne savait-il pas, soudain, ce qu’Il faisait? Comment accuser alors Perceval, comme tant le firent, d’avoir trop «péché» pour L’entendre alors, lui qui L’entendait toujours (il entendit même son propre nom ainsi!). De plus, ne devait-il pas tenir compte des enseignements de sa mère et surtout de son Maître qui lui avaient conseillé de savoir se taire?  Un Maître pourtant «divinement» envoyé pour l’éduquer à la Chevalerie! Même l’auteur n’a  d’ailleurs pas l’air très sûr de trop comprendre ce qu’il écrit et doute du bien fondé des conseils  qu’il a transmis au préalable («parfois trop se taire ne vaut guère mieux que trop parler»):  se retranche derrière «nous dit le livre»!

Et comment peut-on écrire «passer à côté de sa destinée» sans concevoir l’ineptie de pareille déclaration? Et comment la religion chrétienne condamnerait-elle, comme le fait le Conte, cet enfant qui quitte sa mère pour cet Appel plus fort que lui, elle qui conseille: « L’homme quittera son père et sa mère…» (Marc 10/7, etc. )!

PARODIE DESTRUCTRICE:

Mais qui réalise ces incongruités, parmi les lecteurs et les universitaires qui font d’interminables études sur les réelles épreuves «décapantes» des chevaliers? Qui questionne les ultérieures références pseudo-historiques à ce Joseph d’Arimathie?
Qui ne voit pas, en conclusion, l’unique tentative «chrétienne» de cet auteur au nom «parlant» de singer les textes celtes pour envoyer son message (même si peu «sérieux») en amadouant doucement les gens des images païennes vers les symboles des gens de son Livre?= abondance

Comprend-on pourquoi d’autres sautèrent sur l’occasion donnée d’agréablement captiver par des «suites» encore plus  évidemment prosélytes que le texte  fondateur de Chrétien de Troyes?

On sait qu’il fut, ce texte, le premier «roman», c’est à dire la première valorisation du «bas mental», du psychisme «malade», de l’imaginatio fantasmatica:  «personnages saisis dans leur évolution psychologique et morale», dit, en langage  plus «officiel»,  J. Ribard! Oui! On cesse d’écrire en latin pour étendre sa sphère d’influence; pour toucher les pulsions naturelles, considérées comme de «bas instincts» à dépasser; voyez les conseils des «saints hommes»: chasteté, virginité, pas «d’échauffement de la chair et mauvaise luxure»; respect des prêtres, messe, charité, répétition de prières.

Le Celtisme bafoué! Observez l’attitude de Perceval, ce «jeune sauvage», ce paysan sans culture, confiné dans sa campagne par sa mère, face à  toutes les «pucelles» rencontrées; avec les Chevaliers sur son chemin! Percevez le Celte en lui par son attitude et son but:  montrer sa force, aller à l’aventure et tuer ce qui l’empêche de vivre «sa» vie! Souvenons-nous de la seule maxime des Celtes conservée (voir notre article sur cette même revue N° 11). Auto-valorisation toute païenne pour la  survie (des plus aptes); mais ici entachée de culpabilité (via les dits de la  mère et autres chrétiens)… et permise en même temps (autre incongruité que l’on retrouvera au temps des dites «croisades»). Comment Perceval et les autres chevaliers, et le futur chrétien quelque peu observateur, obtiendraient-ils la capacité de voir que tout est proclamé divin et licite lorsque cela correspond à leurs obsessions et que, autrement, tout devient problématique, «pêché» et diabolique?

PROFANATION D’UN SYMBOLE:

Du «merveilleux» plus que du «réel», des symboles gratuits et non édifiants…. Allez «à la grâce de Dieu», assurent les Contes…  et «s’il plaît à Dieu»,  tout est «merveille»! Mais le lecteur qui ne  tombe pas dans le panneau de ces leurres va comparer les descriptions, soit des personnages, soit des châteaux rencontrés; chaque fois il s’agit du plus parfait, riche, extraordinaire; qu’aucun autre ne pourra dépasser; chaque fois!

en décoration

De qui se moque-t-on? De personne: l’auteur distrait le mental afin qu’il accepte le «rêve», l’absence de conscience séparative,  l’état animal; il sera valorisé à l’extrême dans l’état de Perceval «médusé» par les taches de sang et le souvenir de son amie. Pas du tout le réalisme «celtique» où le héros ne saurait se permettre de «s’évader» de son réel, sinon pour accès à l’autre monde, le sid, celui de la «réalité métaphysique».

Une fois dans cet état, toute mythologie, même aberrante, peut être inculquée au lecteur; il absorbera sans secondarisation les instructions de bonnes mœurs et les culpabilisations; par valorisation de sa vanité!

On peut facilement comprendre l’aveuglement de celui-ci lorsque l’on lit des thèses où cette première aventure de Perceval est qualifié de «métaphysique» et où son renoncement aux vanités de ce monde est considéré comme «célestiel»!

Ne nous étonne pas non plus de voir le psychique pris pour le spirituel (ce dénoncé par Abélard au XII siècle); et, pire, le spirituel pris pour le métaphysique, voire  identifié à la Transcendance absolue. On est loin du concept de non-autre de de Cuse, des Un-sans-second du Tao, Unité, Satori, etc. des traditions réelles! La Voie du Salut prise pour celle de la Libération… La Morale (et parfois peu morale!) assimilée à des vérités ontologiques!

LE RÉCIT DU GRAAL ORIGINEL:

Edifiant et réconfortant de comparer ces textes profanateurs à l’original iranien, abondamment et «phénoménologiquement»  commenté par H. Corbin.

Le Récit du Graal de Sohrawardi conduit le lecteur à la compréhension du méta-physique: le «Graal» se trouvera seulement au sommet de la Montagne du Non-où… et, donc, en l’être lui-même! Inversion totale chez Chrétien de Troyes!

L’endoctrinement des Contes du Graal au Christianisme ne cherche pas à conduire vers une telle révélation ultime, même si le dernier ouvrage de cette suite (de Boron) s’élève au delà de la notion de Salut; vers une approche de l’état de Virginité de Maître Eckhart, le Sunyata du bouddhisme, la Nuit des Sens, etc. Approche seulement puisque des lumières aveuglantes, la mort de Galaad et la disparition sur terre du Graal sont plus symptômes de nihilisme, de mort schizophrénique que de cette «mort avant la mort» qui permet l’existence «juste», «unifiée» (le retour du Bouddha après son Nirvana, du Saint après la Nuit des sens, etc.) .

Regardons la «vision»  octroyée «d’anges et l’abondance des choses spirituelles, de l’origine des grandes hardiesses et la raison des prouesses»: n’est-elle pas encore très duelle dans l’expression,  au dernier épisode de la Quête? Ou insuffisamment explicite? Certes, elle est proche, comme le note Dominique Visieux, de l’accès à l’état de Videha Mukti (l’identité suprême), mais Galaad ne semble pas jouir alors de cette «omniscience, omniprésence et immoralité» suivant la description des Hymnes védantiques; en effet: il disparaît de la manifestation! Pensons au Bouddha qui se voit «obligé» d’enseigner et relisons tous les textes des «connaissants» qui exposent que le but n’est pas l’auto-annihilation égo-centrée, mais le retour dans le phénoménal, pour le partage.

LE BUT RÉEL? 

Ne nous étonnons pas de voir alors,  aujourd’hui, le mot Graal être synonyme du But que se donne chacun… Non pas dans les milieux dits «spirituels», mais dans les propos quotidiens profanes… La Lance adjointe, elle,  elle a disparu des textes quelques siècles plus tôt; et personne aujourd’hui ne semble utiliser ce symbole chrétien dans la vie courante. Lancé par Chrétien de Troyes, notons qu’il finit par égaler: destruction de l’Angleterre (Logres)!

Nous ne saurions dire que le texte de Perceval le Gallois est responsable de la «décadence» mentale actuelle généralisée! Mais il est intéressant de noter que cette valorisation de destruction de l’intelligence discriminante est sans doute née de (à) cette époque; et donc des «témoignages» adjacents des êtres qui baignaient en elle… Phénomène naturel, car  il faut que le scandale arrive»; il faut des Obsédés, des Orgueilleux, des Haineux pour s’opposer à Perceval, des pucelles laides, vengeresses, pour détourner quiconque du Chemin que la totale réceptivité donne directement (l’adventure: ce qui advient naturellement, la fameuse «synchronicité» du paradigme hologrammique de ceux qui, parfois, dans les «milieux alternatifs», en ont perçu le «processus»).

Mais le contraire est également vrai: ils remettent parfois, ces Obstacles de l’ «Ennemi» dans le «droit chemin; et le New-age est pareillement handicapé quand il s’aperçoit (parfois!) de l’impossible certitude de la valeur des soi-disant inspirations ou des efforts ascétiques!

La croyance en leur capacité de changer son monde, lorsqu’elle se heurte aux paramètres «accidentels», devrait permettre un jour, à maints «rêveurs», l’accès à la non-dualité que les textes traditionnels décrivent abondamment (même Don Juan de Castaneda!)

Chrétien de Troyes est donc bien le témoin (inconscient) de ce changement de paradigme; ce pour ne mentionner que lui, les autres faisant pire encore par la Loi de l’entropie qui ne peut que tout «alourdir»  et faire dévier de la Voie droite!… Responsable au sens  premier du terme: res-poneo! Il a (trans)posé le Piège de son époque!

UN SYMBOLE UNVERSEL:

Quelle image forte! Que ce soit un plateau ou un vase par la suite, cette image du Graal est tellement «basique», tellement dans les mémoires ontologiques qu’elle est passé facilement dans le «domaine courant» comme symbole de ce que l’on aimerait atteindre pour et par la loi de moindre effort: «Etre servi sur un plateau»  dit-on! Avoir des pouvoirs de plénitude totale… Le mental galope: Corne d’abondance, breuvage de la Coupe d’immortalité ou vase de fleurs, coupe de champagne, coupe du vainqueur, «œil dans la tombe», via Hugo, etc. Même le lapin sortant du chapeau du prestidigitateur appartient à cette imagerie intime! Chaudron celte du symbole d’origine, des tables toujours servies d’autres contes, caverne aux trésors, chrysalide du papillon, bourgeon, table du repas de famille du dimanche: ce n’est là que l’expression, sous diverse images possibles, de ce qui expose, propose la Plénitude, l’Avoir…

N’est-ce pas ce vers quoi l’on «court» toujours, sortant «naturellement» ainsi de l’inconscience ou de la  schizoïdie pour entrer en Ex-istance?

Gardé !

Un «esprit de synthèse» notera que cette structure graphique est également ontologique; il  notera que les constituants de cette image de Chrétien de Troyes (cercle et trait) sont les éléments de construction des lettres, de décoration, de maints couples d’objets: assiette et cuillère, roue et moyeu, vagin et pénis, graphisme du soleil: les deux forces générant les manifestations: réceptivité, ouverture versus action, puissance; plénitude de tout. Eternel constat précédent!

Mensonge (coutumier!) des pourfendeurs, chrétiens souvent, des Nouveaux Mouvements religieux qui veulent faire accroire sur le Net (Wikipedia) que nombre de ceux-ci ont pris ce thème comme Voie! Il n’en est rien au-delà de la mention, en passant, dans quelque texte,  et extrêmement rarement: à une exception près (Abd-ru-Shin)!

Cette image est trop «floue», inconsistante et non seulement le contenu est pris pour le contenant, mais le contenant n’est pris que pour le but qui met en valeur sa seule recherche! Ce n’est pas le Graal qui est à valoriser alors, ce symbole banal décrété par l’imagination «romantique» de certains sentimentaux  comme leur «idéal», car contenant une nourriture magique (Jung ou Bachelard l’ont sans doute mis dans leurs collections!)

C’est le seul Chemin vers ce symbole qui compte pour ceux qui l’utilisent…

Abd-ru-shin le définit avec ses propres obsessions et contre-vérités: «Entouré d'un tissu de légendes, objet d'aspiration d'innombrables êtres, il se dresse là dans la Lumière de la plus grande splendeur et abrite la Coupe sacrée du pur Amour du Tout-Puissant, le Graal!»

La  Quête, alors? Au-delà de l’obsession engendrée par les récits ou les injonctions du Roi Arthur ou de Merlin, quel en est le sens véritable? C’est le Cheminement vers un but sans consistance générale et universelle; relatif seulement à chacun, il image «autre chose» que ce qui est ici et maintenant!

C’est un moteur: une pulsion donnée en faisant saliver l’imagination pour combler une absence (compensation); un «leurre», avons nous déjà écrit; un dream-catcher, un attrape-nigauds. Pour restructurer l’individu qui se voit piéger, dans son intégrité binaire; utile donc uniquement par la vision «apophatique» (négative)! «La dérisoire substitution du mouvement des pieds au désir de Dieu.»(St Bernard+M. Zink)

Alors, la Lance adjacente, avec sa goutte (ou ses flots) de sang (suivant les textes qui s’ensuivirent), ce sera pour lui l’image symbolique de la Force vitale.

Partout !La psychologie note justement, même si réducteur dans une image réductrice, que dans cette séquence de la Cérémonie, se rejoignent les symboles des deux sexes: vase et lance. Même si l’on va un peu plus loin, via Yin et Yang, on demeure dans ces symboles qui, certes, sont fort utiles pour ainsi restructurer la pensée par mimétisme, par exposition de la réalité binaire archétypale, mais obstacle binaire au concept du UN.

Dangereux! Oui! C’est bien en cela que réside un des «dangers» de cette imagerie des Contes du Graal: chaque être va l’identifier, cet «objet», à ses propres (sic!) désirs; donc à ses compensations, donc à ses attachement névrotiques, aussi «élevés» soient-ils! Les auteurs l’ont bien compris, ne disant, après Chrétien de Troyes, nullement ce qu’il était  réellement: ciboire plein du sang du Christ, livre (gradall), voire une tête ensanglantée (Peredur), corne d’abondance, pierre (Parzival, Eschenbach), l’Amour, le yoni féminin (Bertin), une femme (J. Gracq)… Voir vase avec pain devant homme (Queste) devant Galaad, Bohort et Perceval, via Joseph…

RECTIFICATION:

Le Récit du Graal, l’original de Jam, transmis par Sohrawardi, présente, lui, une imagerie «initiatique» quelques années avant le Perceval; le Cratère d’Hermès, antérieur, de même! Le Vase, c’est l’être humain et en lui est la Lumière, la «Pierre magnétique»; comme le Phénix. C’est Kay Khosraw qui l’entoure du fourreau de ses sens et à qui «l’illumination de la connaissance est donnée»; voir le Graal en soi-même! Toutes les traditions (pas religions!) l’ont toujours enseigné; pour tous! Pas pour les adeptes d’une «croyance», dite Foi, pleine d’invraisemblances et de volonté de prosélytisme, comme nous l’avons vu!

Pour le Chercheur authentique, c’est le retour «à l’Eglise celtique abolie par la force et ressuscitant en l’église secrète du Graal» (H. Corbin); dans le «non-où», dans  le «bouleversement» (St Thomas) , dans la «docte ignorance»; une  aventure en méta-histoire, en géosophie… Il est gardé par une confrérie «d’origine célestielle» non visible sur terre (et convenons que Boron, dans son Merlin, a l’adresse de faire disparaître les Gardiens et le Graal, plus sans  doute pour «se sortir» de ses fantasmagories que pour avoir compris les significations de ces symboles!).

Pour les chercheurs occidentaux du Graal, de «ce Vase venu en  Occident» (Merlin), c’est alors un simple Pôle de rassemblement pour ceux qui utilisent cette symbolique, tous ceux qui en ont besoin, la quotidienneté et ses buts ordinaires ne les satisfaisant pas. Ils se sentent moins seuls  alors, en usant de ce terme, lors de ce cheminement conscient qu’est l’Aventure naturelle de toute existence.

Notons que ce terme de Graal apparaît très symptomatiquement, aujourd’hui, comme  appellation pour des rassemblements aussi: des agences de voyage, d’architecture ou d’adoption de chevaux!…

Il est dit par les auteurs que le vrai Graal a disparu de la Terre! Ainsi la Connaissance, la Vision du Tout est déniée: triste conclusion mais parfaite pour faire percevoir le but des Endoctrineurs à la Décadence et au consumérisme compen-satoire!

La littérature usa quelque peu allégrement de ce Symbole, avec l’aide de la Folle du Logis (!): T.S. Eliot, J. Gracq, Wagner, jusqu’aux chanteurs! Et les journalistes (Magasin pittoresque, 1835), historiens et les universitaires de gloser abondamment sur ces textes, sans cependant beaucoup se centrer sur le Graal lui-même (sauf dans Atlantis et Y. Bonnefoy, Quête) et sans remettre en question les absurdités du Message, la valorisation des limites mentales (morales et métaphysiques) des auteurs.

Oui! Tous les fantasmes sont permis; et cette limitation est… limitante, si l’on considère le cheminement «initiatique» dans le sens véritable, qui est le passage du physique, du psychique en méta-physique, dans leur «lieu» d’origine («non conditionné», voir Guénon).

Un symbole très utile, cependant … Utile, comme toutes choses de la manifestation, pour la prise de conscience, un jour, par le Piégé, de ce que sont les pièges des apparences, de la pseudo-spiritualité, des philosophies dualistes; mais  Voie  effroyable, comme les: Pont, Gué,  Siège périlleux, Coup douloureux, Château ensorcelé, ennemis rencontrés…

Les auteurs de cette Queste n’en parlent pas, n’en ont apparemment aucunement conscience. Ils sont là pour «piéger», pas pour libérer le lecteur! L’étant eux-mêmes!

Ils entretiennent, par cristallisation sur cet Objet «magique», les processus de «bas mental», de l’imaginatio fantasmatica qui font barrière au «haut intellect» naturel, à l’imagination vera. Ainsi de toute re-ligion qui, reliant à… met dans la dualité sans évoquer le Un-sans-second, le Lien éternel entre Soi et soi, dans la «réconciliation des opposés».

Sans nul doute est-ce ce que Galaad perçoit en regardant dans le Graal… et en mourant! Pour une fois, le symbole serait justifié, rappelant, à qui sait lire véritablement le logion de l’Evangile selon Thomas: «Que celui qui cherche…» aille jusqu’à sa prise de conscience de l’inanité de ces recherches égo-centrées! La seule prédestination (la «grâce» accordé à ce héros), ne s’oppose-t-elle pas à un tel concept de recherche (= faire des cercles, tourner autour du «pot»!)?

Et c’est là le deuxième traquenard que ce texte annonce (voire dénonce, si, comme certains auteurs, on perçoit «l’ambiguïté» du jeu de l’auteur) : la culpabilisation.

Pauvre Perceval à qui l’on reproche d’avoir suivi les conseils de son Maître ou son inspiration! Sans explication de bon-sens!

AUJOURD’HUI:

Le New-age et ses continuateurs font de même, surtout depuis la mode de la Responsabilité à créer son monde! Si tout va mal autour de soi, cela est de ta faute, assurent les textes de propagande pour des stages de «super-pouvoirs»! Mea culpa, mea maxima culpa: bien dans la méthodologie chrétienne! Et doublement ta faute, car, comme le Prud’homme en accuse Perceval, tu ne t’es pas détaché du terrestre! Faire du prétendu Yoga (gymnastique!), pour le «mieux-être», de la méditation pour «développement personnel»: autres pièges pour la valorisation du Mental, par cette Voie de la Culpabilité et de l’Effort: par la Voie de la Chevalerie qui n’est pas perçue comme Voie vers la Libération, mais comme Voie en soi de Perfectionnement, d’Evolution (de changements toujours identiques non perçus!).

Un peu de rigueur dans la lecture: la «prédestination» joue en maître; ce n’est pas la purification qui conduira Galaad, ni elle qui aidera Lancelot à atteindre le Graal (peine perdue pour les ascètes!)

Et, compagnes de cette Culpabilisation, nous assistons aux vagues de ce Bouc-émissairisme qui fait condamner le «coupable», le «pécheur» par tous les Bien-pensants, les Disciples des Totems Yaka et Faucon, qui ont toujours de bons conseils et critiques pour rectifier la conduite d’autrui («Honte à toi, tu aurais du…»)

A ce sujet: Saint Bernard! Ah! Lui qui envoyait en Croisades sanglantes et établissait une image des plus «eau de rose» (Vierge) pour coaguler le mental hors de son essor vers la Transcendance… Les ingrédients même de ces Contes du Graal! Oui! Saint Bernard avait cependant pressenti que ces imageries de Quête étaient des pièges: «Ce n'est pas en marchant, mais en désirant que l'on cherche Dieu».

Relisons ces Contes pour constater combien Chrétien de Troyes a su séduire les gens en quête d’amusements en enrobant de «belles aventures» délétères des propulsifs vers sa religion! Plus agréables que les Enseignements édifiants des Beowulf, des Gauvain et le Chevalier vert, etc. Séduire par le merveilleux, l’inattendu, les combats… Ne voyons-nous pas les mêmes imageries de nos jours, avec l’Heroic Fantasy, les Jeux de rôle, les Da Vinci Code, Harry Potter, la «gothiquisation» des fêtes néo-médiévales, et les mystères mis en scène depuis l’annonce de la chute du météorite (de Paco Rabane, qui dit aimer le Moyen âge), jusqu’aux catastrophes de l’An 2000, puis 2012, à la nouvelle obsession de la Free Energy, les quêtes de Pouvoir sempiternelles (néo-tantrisme,  néo-chamanisme, ayawaska, etc.).

Le Graal serait–il «l’Ennemi» nommé dans ces Contes de Chrétien de Troyes et continuateurs? Les contes de cette Matière de Bretagne seraient-ils composés pour faire accroire que la France est la fille aînée de l’Eglise, que sa tradition est chrétienne, afin de masquer ainsi, avec toutes les conséquences psychologiques qui en découlent, qu’elle est Celtique… et que l’envahisseur qui tenta de la détruire, venait de Rome (Roma, le contraire de Amor, comme le chantent les troubadours du Moyen âge)?

Ils seraient alors, lus «en vérité» par ceux qui veulent constater les dégâts de cette mythologie, des exemples édifiants, ces éléments qui la transmettent en imageries de violence, d’irrationalité, d’obsessions. On pourrait alors comprendre que certains puissent vouloir, comme à la mode depuis quelque temps «réenchanter le monde»; par des pensées «positives», des refoulements souvent ou des sublimations de culpabilité, par des révoltes revendicatrices, des conflits et des destructions multiples vengeresses sur tous les plans («gauloiseries» ( !), auto-mutilations, agressions, drogues, humour «vache»)! Visible quotidiennement pour qui veut bien regarder «objectivement»: le «païen» ressurgit de la prison psychologique où le mirent ses envahisseurs et les Contes du Graal!

Mais pris au piège malgré lui, par mimétisme social et culturel, par l’image «magique» du Graal et ses variantes d’autres «romans», il est trop profondément souvent enchanté par cette «morale d’esclave», et dans ce cas, par ses symboles catalyseurs.

Vaincre !

Oui, c’est «l’envoûtante légende arthurienne, (…) champ privilégié à tant de rêves», comme écrit J. Ribard (Philtre au Graal), la valorisant ainsi (quel «monde à l’envers»!)

Comment concevrait-il alors, le lecteur en Queste véridique de sa véritable identité originelle, qu’il lui faut, pour cela, au préalable… «déchanter», se désenchanter lui-même de cet envoûtement aux rêveries illogiques, invraisemblables,  non pragmatiques, à ces contes au (dit J. Ribard ) «symbolisme ouvert»… à toutes les inter-prétations des imaginations fantasmatiques (= «péchés»!) nées du refoulement de leurs imageries et pulsions «païennes»?

Mais qui réalise, et pour tout, ce dont avertit Merlin: «Une femme d’une laideur extrême peut paraître belle à ceux qu’elle avait enchantés»!

Merlin assure les Chercheurs qu’il ne verront pas le Graal «de leur vivant», ce Graal qui, en fin de… conte, s’«est retiré à tout jamais», «a disparu»(Perceval).

Qu’il se réveille alors, le lecteur, en voyant qu’il s’emprisonne dans les fantasmes d’endoctrineurs, les pièges de culpabilité, vanité, rébellion, crédulité, illogisme, manque de rigueur intellectuelle…  En voyant qu’il rêve!

Qui veut lire «vraiment» ce «roman» de Perceval est pourtant prévenu! Un personnage  n’y fait-il pas  lui-même ce constat édifiant: «Je m’étonne fort des étranges aventures que tu me contes. Mais c’est un vrai plaisir d’écouter tes mensonges. Je m’y plais autant qu’à entendre les chimériques fables des conteurs de profession»…

Alors, oui! Ces contes ont «valeur de symbole pour l’homme de notre temps» (A. Beguin)!

Valeur relative, donc, à la capacité d’entendement… ou de rêverie de chacun!

A chacun donc sa lecture et ses réalisations! Sa vision d’endoctriné ou de révolté! De «religieux» ou de «Quêteur de Vérité»…

Emmanuel-Yves MONIN

Planete-Gaia18-octobre2014Article d`Emmanuel-Yves Monin
paru dans "Planète Gaia" N° 18, Octobre 2014.